Queen fait figure de parfait élève dans le cercle très privé des groupes de rock au succès colossal. Malgré ses 300 millions de disques vendus dans le monde, la formation de Freddie Mercury ne s’est jamais reposé sur ses acquis et s’est toujours réinventée, jusqu’à la mort tragique de son charismatique leader en 1991. Vingt-neuf ans après, les tubes de Queen restent toujours aussi populaires et inventifs, qu’en est-il de leur album phare ?

En 1974, Queen tutoie enfin les sommets avec Sheer Heart Attack, leur troisième album studio, porté par la sympathique Killer Queen. Malgré de lourds problèmes financiers un an plus tard, le groupe peaufine pendant quatre mois (et dans 6 studios différents !) leur futur disque, annoncé comme étant artistiquement risqué car ambitieux. Le projet A Night At The Opera aboutit enfin, en novembre 1975. Il est alors le disque le plus coûteux à produire de toute la décennie. Le monumentale Bohemian Rhapsody transporte les foules, qui se déplacent en masse à la tournée promotionnelle de l’album.

Les critiques seront légèrement moins enthousiastes. Admirant volontiers la créativité du groupe, ainsi que sa recherche en terme d’effets sonores, elles sont plus réservées quant aux paroles sans sens des chansons et au trop grand nombre de style auquel s’essaie Queen.

L’album débute par Death On Two Legs, petite sœur de Bohemian Rhapsody. Freddie Mercury prend un réel plaisir à imposer un ton semi-effrayant, semi-parodique. Les chœurs s’en donnent à cœur joie pour le suivre dans son périple fascinant tandis que Brian May offre des riffs au sommet. Inquiétant, mystérieux et terriblement séduisant, le disque s’annonce grandiose.

L’enthousiasme retombe aussitôt à l’écoute de Lazing On The Sunday Afternoon. Les superbes chœurs si reconnaissables de Queen et la guitare de May sont encore sublimes, mais la chanson est en réalité trop courte pour immerger vraiment ceux qui l’écoutent. N’allons pas jusqu’à la qualifier d’incohérente puisqu’elle transcrit avec honnêteté le style de Queen, Lazing On Sunday Afternoon déçoit quelque peu, en particulier à cause de la voix ici modifié de Freddie Mercury. Créatif, il chante dans un seau… le rendu a au moins le mérite d’être originale.

S’ensuit le décevant I’m In Love With My Car, aux paroles d’une idiotie innommable et à la composition assez classique. You’re My Best Friend lui succède, avec plus de succès. Sympathique et entrainante, la joyeuse chanson n’est peut-être pas un monument de Queen, mais l’on aurait tort de la sous-estimer.

Queen surprend avec ’39, avec un côté folk qui lorgnerait presque chez Bob Dylan. Etrange paradoxe que ’39 : la chanson est de très bonne facture, mais elle parait si éloignée du répertoire de Queen qu’elle semble totalement incohérente ici. Peut-être qu’une vente uniquement en single aurait été plus logique… saluons néanmoins la prise de risque de Brian May, à l’origine de cette chanson.

On retourne en terrain connu avec Sweet Lady, plus caractéristique de leur style qui cherche à s’affirmer dans cet album. Brian May y livre un riff efficace et Roger Taylor offre une partition de batterie assez intéressante sur la fin. Arrive ensuite Seaside Rendezvous, impertinente et pétillante. Presque cartoonesque, elle mêle différents instruments à vents, en particulier des cuivres.

La face B démarre avec The Prophet’s Song dont les huit minutes étonnantes et inventives annoncent Bohemian Rhapsody. Sans doute caché par ce tube phare du groupe, The Prophet’s Song s’en rapproche énormément tant elle déborde d’audace. Cependant, la partie centrale entièrement a capella s’éternise presque. Les audacieux Queen cherchent peut-être à en faire trop, The Prophet’s Song semble être l’exemple parfait de cette situation. La volonté de montrer trop de facettes de leur talent les désavantage presque car on se retrouve perdu devant tant de directions. L’atmosphère quasi religieuse de la chanson est peu abordable, ainsi je reviendrai peut-être modifier cette critique quelques temps après l’avoir réécoutée.

Après l’étrange The Prophet’s Song, Queen livre Love Of My Life où ils conjuguent enfin émotion et création. Dédiée à la meilleure amie de Freddie Mercury, Mary Austin, cette chanson toute en finesse et délicatesse offre une agréable parenthèse de calme dans cet album grandiloquent et baroque.

Un ukulélé débarque sur Good Company et l’on comprend les reproches des critiques quant au manque de cohérence de A Night At The Opera. Finalement, cet instrument incongru se prête plutôt bien au morceau. Celui qui suit sera bien plus monumentale, puisqu’il s’agit du non moins célèbre Bohemian Rhapsody.

Inutile de décrire la chanson puisqu’il faut avoir habité dans une grotte pour ne pas la connaître par cœur. Empruntant des airs d’opéra, le morceau est d’une cohérence et d’un génie inégalé et inégalable. Brillant et poignant, Bohemian Rhapsody mêle astucieusement toutes les palettes du glam rock de Queen, qui créé en 1975 plus qu’un titre culte de la formation, un hymne. Il ne serait que justice de saluer une nouvelle fois le talent de compositeur de Mercury.

Comment succéder à une telle chanson ?
Avec une reprise de l’hymne anglais, bien sûr. Queen aurait pu clore l’album en apothéose, mais curieusement c’est avec sobriété que le groupe achève son fameux A Night A The Opera.

En bref
Le projet était ambitieux car sans limite. Queen se perd presque en voulant prouver l’étendue de son talent, peut-être auraient-ils du parier sur plus d’humilité, en privilégiant une cohérence globale ? Mais le fascinant paradoxe de A Night At The Opera est là. Le groupe cherche à imposer un style qui se cherche encore, on trouve ici les premiers jalons du mythe Queen : la fantaisie, la recherche constante, l’inventivité et cette passion (justifiée) pour les chœurs. Il est injuste de résumer ce disque à Bohemian Rhapsody qui apparait néanmoins comme le sommet d’un album qui part réellement dans tous les sens. Leur trop grande créativité finit par les handicaper si bien qu’on n’en oublie parfois que A Night At The Opera contient des petites pépites sous-estimées, telles que Death On Two Legs ou Sweet Lady.
Impatient de montrer leur ingéniosité, Queen aurait donc livré un disque en demi-teinte si leur capital sympathie ne l’emportait pas au final.

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