Lorsque Sean Penn s’empare de la vie palpitante d’un aventurier idéaliste, le résultat dépasse le fidèle et lisse biopic pour devenir une œuvre majestueuse, un périple incroyable parsemé de références littéraires, ainsi qu’une ode à la vie, si brève fut-elle pour Christopher McCandless.
Christopher
McCandless, un jeune idéaliste avant d’être un mythe
Alors que sa famille le croyait à Atlanta pour ses études, le jeune
Christopher McCandless était lancée dans un périple fou : atteindre
l’Alaska. Ses parents, archétypes des fanatiques du rêve américain,
découvriront la vérité dans des circonstances tragiques, deux ans après le
départ de leur fils.
Bercé par les écrits de Thoreau, Jack London et Tolstoï, Christopher McCandless
refuse la voie toute tracée qui lui était offerte et part expérimenter la
« vraie vie » sauvage de ses idoles littéraires. Après avoir envoyé
ses économies à des œuvres de charité, il brûle ses derniers dollars, détruit
ses papiers d’identité et étudie des manuels de survie ; l’apprenti
Robinson plonge alors dans le monde sauvage dont il a toujours rêvé.
Dans la réalité, Christopher McCandless voyait ce périple comme un échappatoire
au quotidien tyrannique imposé par un père violent. Le journaliste et alpiniste
ayant retracé sa vie, John Krakauer, a omis ce détail dans son livre en 1996,
respectant la demande de la sœur de Christopher. Onze ans plus tard, Sean Penn
réalisera l’adaptation de cette biographie.
Des personnages
fascinants clamant leur liberté
Troquer le confort de la civilisation pour une existence incertaine au jour
le jour causera la mort précoce de Christopher McCandless, à 24 ans. Pourtant
jamais une vie n’a semblé aussi riche et intense que celles du jeune homme et
des personnages aventuriers dépeints dans ses livres. Vivre longtemps sans but
rebutait le héros d’Into The Wild qui a fait de sa vie un roman.
Croisant une foule de personnages hauts en couleur lors de son périple, Christopher McCandless n’a pas seulement découvert la vraie nature mais aussi des personnes vraies. D’une bande de hippies à des scandinaves délurés, le jeune aventurier semble avoir rencontré le spectre entier de l’humanité en l’espace de quelques mois. Ses rencontres sont intégrés au film de manière non chronologique, préférant une logique narrative que temporelle. Le dernier personnage avec qui Christopher échange, un vieil homme appelé Franz, se révèle aussi attachant que le héros lui-même. D’abord dubitatif devant le projet du jeune homme, Franz, joué par le touchant Hal Holbrook se laisse convaincre par son énergie folle et son envie grandissante de vivre. Le vieil homme apprendra du plus jeune que le nombre d’années n’est pas synonyme de sagesse et d’expérience. Cette leçon reçue à l’aube de sa vie aura sans doute été une prise de conscience vertigineuse pour un vieil homme, confronté au vide de sa vie. Arrachant quelques larmes aux spectateurs sensibles, la scène d’adieu entre Franz et Christopher constitue un des sommets du film, d’une pudeur désarmante.
Entrecoupée par les flashbacks des rencontres, l’aventure en Alaska éblouit par la beauté de ses images, de son propos et par l’attitude toujours noble et fougueuse de Christopher. Son interprète, Emile Hirsch, crève l’écran. Magnétique, l’acteur oscille entre une retenue fascinante et une énergie folle. L’humanité et la maturité qu’il offre à son personnage lumineux ne sont que trop frappantes. Paradoxalement mature et idéaliste, voire utopique, il apparait plus complexe encore dans ses moments de doute et de sombre pessimisme. Il mime par exemple de manière récurrente les manies de son père autoritaire dont il ne sera jamais libéré. Pourtant, il sera inspirant pour tous, y compris pour ses propres parents. Réclamant la liberté absolue, sa noble quête est retracée avec ferveur par Sean Penn dans ce film aux allures de Sur la route.
Une ode au voyage
porteuse de réflexions
Into The Wild enchantera tous
ceux dont l’âme d’aventurier se nourrit des romans de London et Kerouac.
De sublimes paysages peuplent ce film, alternant entre cascades, toundras,
forêts glaciales et plateaux aménagés en communauté hippie. Bien que la vie
sauvage constitue un danger permanent, l’envie de fuir grandit au fur et à
mesure du film. Mais ce film n’est pas qu’un grand bol d’air rafraichissant, il
questionne aussi sur notre propre rapport à la vie.
Une vie de sécurité, d’assurances et de projets est-elle réellement une vie ? Expérimentons-nous vraiment les grandes sensations humains ou nous contentons-nous seulement d’ersatz d’expériences ? En fervente admiratrice de Jack Kerouac et Sylvain Tesson, mes réponses sont déjà trouvées.
En bref
Into The Wild est l’Easy
Rider du XXIème siècle, sans drogue (et avec une histoire !). Hypnotisant
et intimiste, le film de Sean Penn est une ode à la vie et à l’aventure. Tout
le monde ne sera pas sensible au charme de ce film, parfois contemplatif ni à
son discours assez radical sur la civilisation, mais espérons que ceux qui le
regarderont à l’avenir auront l’audace de mettre en perceptive leurs propres vies.
Sombre conséquence de ce film : de nombreux fans ont essayé de rejoindre
le van emblématique si présent à l’écran, une touriste a perdu la vie durant ce
dangereux périple en 2011.
Si abandonner le confort de la société semble radical, se laisser porter par des films et des livres d’aventures semble être un choix plus raisonnable… avant un futur voyage ?