« Aucun artiste, aucun écrivain, aucun homme ne mérite d’être consacré de son vivant, parce qu’il a le pouvoir et la liberté de tout changer. Le Prix Nobel m’aurait élevé sur un piédestal alors que je n’avais pas fini d’accomplir des choses, de prendre ma liberté et d’agir, de m’engager.» Jean-Paul Sartre

Julien Gracq et le Goncourt
Cadeau empoisonné, le prix Goncourt est victime de son succès. Les jeunes auteurs éprouvent parfois difficilement cette récompense qui entraine logiquement des attentes plus grandes pour les prochaines œuvres. L’écrivain Pascal Lainé, dont l’œuvre est souvent réduite à son roman primé, décrit le Goncourt comme « le concentré de la futilité d’une culture dominée par les médias et les purs effets de mode ». Mais ce ne sont étrangement pas ces raisons qui ont poussé les écrivains suivants à refuser le Goncourt.

Lorsque l’écrivain apprend que son Rivage des Syrtes risque d’être sacrer en 1951, il annonce immédiatement sa « non-candidature »… que refuse l’académie Goncourt, estimant que les auteurs pressentis ne sont pas des candidats. Julien Gracq avait écrit quelque peu auparavant un pamphlet virulent, La littérature à l’estomac. Il y dénonce le système des prix et l’attrait superficiel des lecteurs pour l’écrivain lui-même et non pour les écrits.

Son refus engendre une vague de fascination, qui se traduit dans les ventes bondissantes de son roman, illustrant à merveille ce que redoutait Gracq. D’autres auteurs refuseront le prix, le dernier en date est Joseph Andreas pour le Goncourt du Premier Roman en 2016.

Jean-Paul Sartre
Au même titre que le Goncourt, le prix Nobel de littérature constituerait le Graal pour tout écrivain, assuré de rester dans l’histoire. La prestigieuse liste des lauréats comptent Steinbeck, Camus, Hemingway, Faulkner, André Gide, Churchill, Bob Dylan, Bergson, Vargas Llosa… une liste admirable à laquelle Jean-Paul Sartre a pourtant refusé d’appartenir.

En 1964, une rumeur, relayée par les journaux, annonçait Sartre comme futur lauréat du fameux prix. Celui-ci envoie alors une lettre à l’académie suédoise, refusant une telle récompense. Mais la lettre arrivera après son décernement. C’est alors que le philosophe prend une décision radicale : décliner le prix et les 250 000 couronnes associés (équivalent aujourd’hui à 850 000€). L’écrivain, qui refusera aussi la Légion d’Honneur, estime qu’une telle distinction viendrait bousculer ses principes d’écrivain engagé. Le soir de l’attribution du Nobel, il déclare à la presse suédoise « Un écrivain qui prend des positions politiques, sociales ou littéraires ne doit agir qu’avec les moyens qui sont les siens, c’est-à-dire la parole écrite. Toutes les distinctions qu’il peut recevoir exposent ses lecteurs à une pression que je n’estime pas souhaitable ». Il dénonce aussi une mystification du public pour les lauréats, qui l’empêcherait de continuer ses combats : « Ce n’est pas la même chose si je signe Jean Paul Sartre ou si je signe Jean Paul Sartre prix Nobel. […] L’écrivain doit donc refuser de se laisser transformer en institution même si cela a lieu sous les formes les plus honorables comme c’est le cas. ».

De plus, Sartre soutient alors la cause ouvrière et dans un contexte de guerre froide, accepter un prix du bloc de l’Ouest aurait été paradoxale.

Six ans plus tôt, l’écrivain russe Boris Pasternak, auteur notamment du Docteur Jivago, avait été contraint de décliner le prix par crainte des représailles du bloc de l’URSS, en prétextant un sentiment d’illégitimité.

Albert Camus ou la désinvolture
Si la plupart des écrivains ont remercié les académies respectives et ont accepté avec honneur une telle distinction, d’autres ont reçu la nouvelle avec moins de solennité. Camus a notamment réagi à son attribution du prix Nobel devant un match de football, en répondant aux questions des journalistes de manière presque évasive, visiblement plus intéressé par le match que par le prix le plus honorifique au monde.

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