Férus de littérature et un brin dandys, les membres du groupe parisien Feu ! Chatterton sillonnent la France cet été pour défendre leur troisième album, Palais d’argile. Leurs chansons qui mêlent un rock élégant et une pop (pour une fois) réjouissante, sont sublimées par des clips inventifs et par des textes travaillés et émouvants, comme hérités, pour certains, de poètes disparus.
Premier groupe français à figurer sur ce modeste site internet, c’est dire le coup de cœur que j’ai eu à l’écoute de Feu ! Chatterton. Dès son nom, un indice aux lecteurs les plus érudits laisse présager le contenu de leurs chansons, ainsi que leurs influences en matière d’écriture. Le groupe ressuscite le poète du XVIII e siècle Thomas Chatterton, alias Rowley, érigé en symbole du génie inconnu par les romantiques après son suicide à 17 ans. Si cette référence tragique n’empêche heureusement pas le groupe d’opter pour des chansons plus rayonnantes, une certaine amertume se laisse percevoir dans leurs textes, comme un ultime clin d’œil au poète maudit.
Le groupe revendique d’autres références, cette fois-ci musicales ; et je fis agréablement surprise de lire parmi elles des groupes et artistes que j’affectionne, qu’ils viennent du rock (Pink Floyd, Radiohead, Led Zeppelin), de la chanson française (Bashung, Jacques Brel) ou du jazz avec Chet Baker (qui pourrait avoir droit à son article prochainement…).
Un Monde nouveau
C’est avec cette chanson, de plus en plus présente sur les ondes radio, que je les ai découverts. Derrière ses allures pop se cache une certaine ironie, assez légère pour en être amusante mais suffisamment grinçante pour en délivrer un message efficace. Par ailleurs, additionné à l’aspect assez pince-sans-rire des paroles, le clip vintage à souhait est lui aussi assez représentatif de l’esthétique développée par le groupe. En somme, Un Monde nouveau est une chanson assez accessible du groupe dont le répertoire s’avère par moments plus exigeant.
Souvenir
Probablement l’une des plus belles chansons du groupe, Souvenir touche par sa musique dépouillée progressivement plus complexe, et par ses paroles touchantes, les deux se mêlant divinement lors des refrains, bouleversants, et de ce final, sublime. Le groupe sème en prime quelques références à Apollinaire, il n’en fallait pas plus pour me ravir.
Fou à lier
Dès son intro de guitare, Fou à lier est irrésistible. Si la musique est incroyablement séduisante et entraînante, les paroles apparaissent au premier abord mystérieuses, c’est alors que le clip, un petit bijou, permet peut-être de les éclaircir… Relevons aussi des techniques d’écritures originales et particulièrement intéressantes qui accentuent la démence du personnage-narrateur. Arthur Treboul, par ailleurs chanteur du groupe, semble avoir construit le texte en y incluant de manière graduelle des comparaisons par association d’expressions (« je crains de venir fou à lier / Marteau comme ici les requins », « [j’ai] un tout petit grain/Caféiné) ce qui rehausse l’absurdité du propos, ou bien par association sonore (« des radars satellitaires/cette île est-elle.. »), mettant en avant la perte de repères propres à la folie, ou encore par pur jeu de mots (« les crocodiles accostent »). Une pépite !
https://www.youtube.com/watch?v=ghU1v14itSs
A l’aube
Il serait criminel de présenter ce groupe sans mentionner une seule de leurs création en spoken word, c’est-à-dire ni tout à fait en slam ni chantée, mais oralisée, dont la traduction pourrait être le parler-chanter. Quand j’entrepris mes petites recherches pour cet article sur le spoken word, quelle ne fut pas ma surprise de voir que la Beat Generation en fut un des plus grands inspirateurs ! (Je vous renvoie ici à mon précédent article sur Jack Kerouac, un des chefs de file de ce mouvement.)
Peut-être moins accessible, mais au fur et à mesure des écoutes, non moins appréciable que les chansons précédents, A l’aube est pour ma part une belle découverte dans un style musicale qui ne m’est pas familier. Le texte en prose se révèle bien plus frappant grâce à la rythmique particulière de la voix, soulevée par des élans plus fiévreux.
Avant qu’il n’y ait le monde
Feu ! Chatterton s’empare ici de la splendide traduction d’Yves Bonnefoy du poème de W.B.Yeats, Before the world was made. La version proposée dans cet article, acoustique, est sensiblement différente de celle présente sur leur dernier album, mais les légères transformations opérées par le groupe sont d’une justesse telle que l’émotion produite n’en est que décuplée, à l’instar de la mélodie de guitare jouée en lap steel. Cette version est à l’image du clip, tourné en un plan séquence dans le Consulat de Paris : touchante par sa simplicité, d’une beauté évidente.