Le projet ambitieux de Thomas Cailley constituait une prise de risque salutaire pour le cinéma français. Alors qu’il réussit avec brio à dépeindre la rencontre entre le quotidien et le surnaturel, Le Règne animal pèche par sa direction d’acteurs décevante et sa mise en scène parfois curieuse du monde réel.
Jamais on ne saura pourquoi, mais des humains deviennent des animaux. Le point de départ du Règne animal a le mérite d’être simple et d’ouvrir une fantastique porte à des situations cinématographiques : comment filmer ces monstres et leur transformation ? Comment suggérer l’incursion de l’impossible dans notre monde ? A l’inverse de certains blockbusters calibrés d’Hollywood, Thomas Cailley refuse la course à la montre des premières contagions et la guerre mondiale inter-espèces. Il se concentre sur les bouleversements intimes provoqués par ce dérèglement, tout en gardant à cœur de proposer un film spectaculaire.
Ce parti pris s’avère réussi dès lors qu’il montre des lieux familiers en prise avec le surnaturel. La course-poursuite contre un garçon-pieuvre dans les rayons d’Auchan et la traque des créatures dans le camping lors de la Saint-Jean sont de vrais morceaux de bravoure, prouvant la maitrise de Cailley dans la gestion logistique des scènes d’actions, de la multiplication de points de vue à l’exploitation des ressources des décors.
Soyons chauvins un instant et saluons le savoir-faire technique irréprochable des techniciens français, à commencer par les responsables des effets spéciaux et maquillage Frédéric Lainé, Jean-Christophe Spadaccini (dont le travail fabuleux a pu être observer dans Holy Motors de Carax) et Pascal Molina, ces derniers ayant tous deux déjà travaillé avec Jeunet et Caro. Thomas Cailley aurait pu user des artifices du cinéma pour suggérer la présence du surnaturel, en plongeant les créatures dans le hors-champ, comme le fait régulièrement La Féline (1942) de Tourneur, film fantastique français majeur qui n’est pas sans rappeler Le Règne animal. Celui-ci, dès sa scène d’introduction assez magistrale, ne lésine pas sur les monstrations de créatures, le spectateur a alors le plaisir de découvrir tout un bestiaire improbable tout au long du film, au lieu d’attendre deux heures pour apercevoir un bout de museau. Le maquillage sait aussi être plus subtile, comme en témoigne l’évolution d’un des personnages dont le dos et le visage se transforment peu à peu. D’autre part, la musique résume de manière intelligente le propos du film en mêlant instruments et râles humains, entre civilisation et animalité.
Malheureusement, et de façon assez étonnante, le film devient moins réussi, voire presque ridicule, quand il nous montre des scènes réalistes. La sous-intrigue dans le lycée provoque moins l’intérêt que la gêne, tant certaines séquences demeurent improbables. L’arrivée du garçon dans une nouvelle classe, accompagné d’un lot de remarques de ses camarades, ainsi que ce cours de sport invraisemblable où chaque élève s’exerce à une activité différente, font naître un sourire gêné, et, plus grave, brisent la projection de chacun dans cette histoire. Les séquences censées nous rattacher au monde réel et nous faire croire à la fiction sont moins crédibles que les scènes surnaturelles auxquelles le spectateur, suivant les héros du film dès la première scène, ne questionne pas l’étrangeté.
Cependant, le principal défaut du Règne animal demeure son jeu d’acteur. Le phrasé étonnant de Romain Duris et la mollesse de Paul Kircher, assez atone tout au long du film, agacent. De plus, quantité de dialogues semblent peu réalistes, en particulier dans les scènes de tension. L’ensemble du film en pâtit grandement, peut-être qu’un autre casting ou une direction d’acteurs plus minutieuse auraient élevé Le Règne animal au rang de chef d’œuvre du cinéma fantastique français. Un comble malheureux pour ce film dont les séquences parlées pénibles freinent l’immersion, alors que les éléments surnaturels sont présentés avec une vraie virtuosité.
Si ce thème de la métamorphose au cinéma vous intéresse, je vous propose un second film, The Lobster (2015), qui le traite de façon extrêmement loufoque et ironique, dont la critique dédiée se trouve ici*.
(Cet article n’aurait pas pu voir le jour sans les remarques pertinentes de Joe Marshall que je remercie grandement)