Alors qu’il avait annoncé prendre sa retraite après Le Vent se lève (2014), ce menteur d’Hayao Miyazaki nous livre un (ultime ?) film, synthétisant bon nombre des thèmes qui lui sont chers, dans une explosion visuelle qu’on ne lui soupçonnait pas. Sortie : 1 novembre
Contrairement aux très médiatiques Barbie et Oppenheimer, l’autre poids lourd du second semestre au cinéma, Le Garçon et Le Héron, n’a proposé presque aucune publicité, aucune image, pas le moindre indice concernant son intrigue. Nous découvrons donc le dernier film de Miyazaki vierges de tout préjugé, mais remplis d’attentes. Lors des premières images du film, nous assistons à la destruction de Tokyo, en proie à la Seconde Guerre Mondiale, qui fait basculer le film dans la veine réaliste du Vent se lève. Finalement, il s’avère vite que le film s’approche davantage du Voyage de Chihiro, tant dans sa structure que dans son goût pour le fantastique et les créatures improbables.
Comme souvent chez Miyazaki, notre héros est jeune et doit affronter un monde étranger pour grandir. Ici, nous avons à faire à Mahito, qui, à la suite d’un incendie meurtrier, quitte la capitale pour rejoindre la campagne et sa belle-mère. Celle-ci disparaît dans un monde parallèle, Mahito s’y engouffre pour la retrouver, et se trouve à combattre contre des forces ennemies, susceptibles de bouleverser le temps même.
Saluons d’abord l’immense ambition du maître de l’animation. A la différence des sympathiques, quoique parfois enfantins Mon Voisin Totoro et Ponyo sur la falaise, Miyazaki n’a pas peur de proposer une histoire très complexe, s’étalant sur des temporalités différentes qui parfois se superposent. Le résultat est vertigineux. Jamais il ne s’est aventuré aussi loin en termes d’audaces scénaristiques et d’animation. La séquence la plus impressionnante, au potentiel émotionnel le plus fort, se situe au début, lors du grand incendie. Le mélange d’animation 2D et 3D éblouit, cette scène d’ouverture n’est pas sans rappeler Le Tombeau des Lucioles (1988) du regretté Isao Takahata, cofondateur des studios Ghibli. Certaines scènes, presque métaphysiques, tentent de représenter le passage entre les deux mondes de manière abstraite et colorée, le rendu est osé, mais peut-être moins touchant.
Cette complexité de l’intrigue a une contrepartie. En proposant un scénario allant d’un monde à l’autre, l’enchaînement des séquences est parfois confus. Parfois, le lien d’une scène à l’autre est moins causal que poétique, et peut dérouter certains spectateurs.
Cependant, les habitués de l’univers de Miyazaki y trouveront leur compte, en redécouvrant avec plaisir nombre des grandes questions qui ont jalonné son œuvre (l’impuissance de l’homme dans la guerre, l’enfant livré à lui-même, la difficulté d’attribuer sa confiance, ou encore le deuil). On y retrouve les spécificités visuelles du cinéaste, avec ces grands-mères cartoonesques, les décors peints, ou encore le personnage à la double nature de l’Homme-Héron, dont la dualité souligne l’ambiguïté morale. Certains thèmes y sont abordés avec plus de discrétion, c’est notamment le cas de la folie des civilisations et leur pouvoir destructeur, suggéré par la présence des perruches fascisantes et du grand-oncle qui peine à rétablir l’équilibre et la douceur du monde. A l’inverse, Le Garçon et le Héron se distingue de ses précédents films en présentant un héros assez sombre, à la lisière de l’enfance et de l’adolescence. Mahito n’a pas la maladresse de Chihiro, il ne possède même presque plus les traits habituels des enfants chez Miyazaki. Il est plus proche d’Ashitaka, héros de Princesse Mononoké. Le poids des responsabilités et son passé douloureux font de lui un personnage assez froid et mature, dont on peine davantage à éprouver de la sympathie. Le Garçon et le Héron est alors un film dont on ne garde pas le même souvenir tendre, a contrario du Château ambulant ou de Nausicaa. Osons même dire que l’on est finalement peu ému devant ce film à la froideur inhabituelle chez ce réalisateur.
On sort donc sonné de ce film-somme, fascinant mais exigeant, qui impose presque immédiatement un second visionnage. Savoir qu’il s’agit du dernier film de Miyazaki le rend néanmoins touchant en voyant dans la figure du grand-oncle une projection du cinéaste tentant de remonter le temps et peinant à confier à quelqu’un la suite de son œuvre-monde.
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