En reconstituant l’histoire mouvementée d’une mère tour à tour fille d’intellectuelle, artiste et marginale, Little Girl Blue déploie un dispositif très singulier, qui ne fait malheureusement pas ses preuves sur la longue durée. En s’enfermant dans des questionnements familiaux et personnels, Mona Achache peine à embrasser un propos universel, à l’image de la littérature actuelle tournée vers l’auto-fiction.

Mona Achache, dans ce film curieux, entre le biopic et le documentaire de création, reproduit le geste de sa mère, Carole Achache, photographe, ayant elle-même retracé la vie de sa mère, une intellectuelle proche de Jean Genet et du cercle de Saint-Germain-en-Laye. Pour raconter la vie de sa mère et espérer élucider son suicide, elle fait appel à Marion Cotillard et lui impose des règles strictes en matière de jeu puisque la réalisatrice veut préserver la voix de sa mère.

Usant d’images d’archives, de vidéos familiales, de lettres et d’enregistrement, Mona Achache, dans une démarche semblable à celle d’Annie Ernaux en littérature, s’attache à la reconstitution scrupuleuse du passé de sa mère. Le film propose même une autre histoire en miroir, celle de Carole retraçant la vie de sa propre mère. Deux portraits de femmes, voire trois avec celui de la réalisatrice, se répondent, dans deux époques différentes. Le début de Little Girl Blue apparaît d’ailleurs confus en superposant ses histoires enchâssées. Le passé d’une mère expliquerait-il l’histoire d’une fille ? Ni Carole ni Mona n’arrivent réellement à statuer sur cette question. Le seul élément de réponse proposé reprend un des poncifs des récits de maternité en soutenant que les traumatismes se perpétuent de mère en fille, comme une éternelle condition féminine.

A l’inverse d’un biopic traditionnel, l’originalité de ce film repose sur l’entremêlement de séquences autobiographiques, où la réalisatrice filme sa quête de film, et des tentatives d’incarnation de sa mère par Marion Cotillard. Jamais Little Girl Blue ne nous plongera dans une reconstitution exacte, où le spectateur identifierait Marion Cotillard à Carole Achache. La réalisatrice préfère préserver une sorte de flou constant, d’impression d’étrangeté en insistant sur la difficulté qu’a l’actrice à prendre la voix de Carole Achache. Le film repose alors essentiellement sur des séquences de doublage, progressivement de plus en plus en réussies, où la voix de Carole, comme un fantôme désincarné, retrouve peu à peu un autre corps. Ce parti pris méta, plutôt séduisant à première vue, se centre presque exclusivement sur le doublage -la question de la ressemblance physique se réduisant à des vêtements et des lentilles de contact – , et finit alors par lasser. Se répètent les scènes de reconstitution, où Marion Cotillard, filmée souvent en gros plans, reproduit la parole de Carole, face à un interlocuteur de dos. Mona Achache intervient au long du film, davantage au début, comme pour s’effacer face à l’actrice, jamais on ne saura si ses larmes devant les monologues de Marion Cotillard souligne l’efficacité du doublage pour retrouver la figure de sa mère, ou, l’impossibilité radicale de sa quête, révélée finalement par cet artifice qui réhausse la différence entre les deux femmes.

Alors que Little Girl Blue se focalise sur un portrait très personnel, Mona Achache lorgne parfois avec ambition vers la grande Histoire, malheureusement trop vite esquissée. En suggérant de nombreuses questions sur la liberté sexuelle, le film pourrait questionner l’héritage controversé de Mai 68, auquel Carole a, de surcroît, participé. De plus, le montage alterne fréquemment des images de films familiaux et de longs-métrages de fiction, allant du muet à Lelouch, comme le générique le précise. Nul film culte à traquer pour autant, il s’agit plutôt de faire des rapprochements poétiques, peut-être dans une volonté de dessiner une histoire des femmes par les images. Ce rythme rapide et répété de montage n’est pas sans rappeler les Histoires du cinéma de Godard, même si Little Girl Blue est nettement moins radical et utilise moins systématiquement ces choix esthétiques. Noyées dans le portrait de Carole, ces références peinent à dévoiler de manière franche les intentions de la réalisatrice.

Alors, que retenir de Little Girl Blue ? Malgré ses choix de mise en scène forts, ce film risque de lasser par la répétition de son dispositif de doublage, son organisation en huis clos et le resserrement de tous les questionnements à la figure seule de Carole, personnage complexe et perdu, mais difficilement touchant. Dans un film presque thérapeutique pour une fille en quête de réponses, Mona Achache préfère laisser les questions ouvertes, et le mystère de sa mère, entier.

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