Alors que Sean Baker nous avait habitué à des portraits complexes des marges de l’Amérique, sa dernière création couronnée à Cannes apparaît bien peu audacieuse, et même, chose étonnante, plutôt pénible. Son scénario cousu de fil blanc accumule les longueurs. Le fable sexy et moderne annoncée s’avèrera poussive et bien sage.
Anora, dite Ani (Mikey Madison), danseuse érotique, satisfait à merveille les clients du bar d’escorts où elle travaille. Parmi eux, le jeune Vanya (Mark Eydelshteyn, sosie russe de Shawn Mendes et génial en ado tardif tête-à-claques), un fils de milliardaires, lui propose une relation exclusive fort bien payée, actée par un mariage à Vegas. Seulement, notre Cendrillon risque de tout perdre au moment où les parents de Vanya s’en mêlent…
A première vue (et ce sera malheureusement confirmé par le film), le scénario d’Anora ne brille pas d’originalité. La structure du film suit le schéma du rise and fall (ascension et chute), aux teintes plus tragiques que Pretty Woman. Sean Baker aurait pu tirer son épingle du jeu en poursuivant sa critique de l’American Dream, mais ses personnages, à commencer par Ani, s’y raccrochent tant et fort qu’il ne peut proposer un contre-discours pertinent. Le film nous dit qu’en Amérique, on parie gros et on peut perdre, voilà qui ne surprendra personne.
Plus inquiétant est le rythme du film. Un scénario prévisible peut se faire oublier par une action menée tambour battant, mais ici la lenteur règne en maître. Anora et les gardes du corps de Vanya partent à la recherche du jeune homme dans une traque nocturne répétitive. Liés malgré eux, les personnages hurlent et se débattent jusqu’à nous épuiser.
Saluons néanmoins l’humour du film, porté par un Mikey Madison tous azimuts. La scène centrale de basculement, lorsque les gardes du corps débarquent dans l’appartement et exigent l’annulation du mariage, est une merveilleuse séquence d’hystérie collective, qui une fois encore, s’étirera trop. En faisant le pari de la légèreté et du comique, Sean Baker redonne du souffle à un récit en apparences sombre.
L’émotion y est plus rare, et surtout, plus lourdement soulignée. Lors de la traque de Vanya, des insistants raccords-regards sur Igor (Youri Borissov, acteur à suivre depuis Compartiment n°6) nous le présente avec insistance comme le seul potentiel ami d’Anora. Celle-ci, obnubilée par sa quête d’argent facile, ne prendra compte de sa solitude que grâce à lui, bouée de secours parmi tous les lâches.
Néanmoins, le film se complexifie avec sa mise en scène, a priori pourtant transparente, avec une esthétique de clip publicitaire. Ce goût pour l’artificialité suggère la vanité des personnages, courant après l’argent, en même temps qu’il risque d’enfermer Anora dans une position de femme-objet, purement désirable. Au fur et à mesure, la caméra se rapproche d’elle, les gros plans se multiplient et là voilà réellement prisonnière, malgré ses cris de rage. La mise en scène, comme érigée contre son personnage, nous prépare à la fin tragique d’Anora. Il n’y aura pas d’échappatoire.
La dernière œuvre de Sean Baker provoquera sûrement des débats. La récompenser d’une Palme d’or salue peut-être davantage l’œuvre globale de Sean Baker et l’inventivité d’un cinéma américain indépendant désormais largement reconnu.
Anora a peut-être convaincu le jury du Festival de Cannes par comparaison avec l’embarrassant Megalopolis ou les trop politiques Graînes du Figuier Sauvage, film qui, à mon humble avis, méritait la récompense suprême.
Si j’ai été déçue par Anora, je ne l’ai pas été par The Florida Project, une des œuvres précédentes de Sean Baker auquel j’ai consacré un petit podcast à retrouver ci-dessous ainsi que sur toutes les plateformes d’écoute !