On imagine qu’Ali Abbasi et son scénariste Gabriel Sherman ont dû édulcoré leur personnage tant le Donal réel, excès fait homme, rend impossible la fiction en la dépassant chaque jour. Dans sa recherche absolue d’argent et de pouvoir, le jeune Donald fait fi des états d’âme, des autres, et surtout, des lois. Annonçant avec une ironie grinçante et tragique le Trump de 2024, ce faux biopic s’avère une réussite totale.
Il est fort à parier que ce biopic fictionnalisé de Donald Trump connaîtra un regain de spectateurs en France après l’élection américaine tant il ausculte avec une ironie grinçante l’ascension du futur 47e président. Nous suivons les aventures du jeune Donald, jeune héritier timide jusqu’à son monopole sur la fortune de son père. Ne nous trompons pas, The Apprentice n’est pas une success story enviable, mais décortique avec humour noir et punch, comment Trump a utilisé tout son monde pour s’élever. Pour ce faire, le film se concentre sur sa relation avec Roy Cohn (Jeremy Strong, génial et détestable à souhait), son mentor expert en perfidie.
Golden boy naïf soumis à papa, Donald se mue en machine de guerre économique. Les magouilles sont légion, et les coups bas tout autant. The Apprentice s’ouvre sur une tragédie pour le jeune Donald : l’Etat de Géorgie veut condamner sa société immobilière pour avoir refuser des logements aux Afro-Américains. Qui arroser dans la Justice pour s’en sortir indemne ? A travers cette tension éthiquement douteuse, le film affiche d’emblée sa distance ironique. Il suit les codes du biopic construit en ascension en nous annonçant d’emblée, que son anti-héros est la dernière des crapules.
Il faut toute la subtilité du jeu de Sebastian Stan pour faire semblant d’être attachant et éviter la caricature grossière. Le jeune Donald, garçon gêné et emprunté, refuse de s’imposer et se fait petit au milieu de grands magouilleurs. Sa rencontre avec Roy Cohn sera décisive, car l’élève ne tardera pas à dépasser le maître.
Roy Cohn représente la matrice du futur Trump, répétant à l’envi qu’il est important de tout nier et de s’avouer toujours vainqueur. Lui et Donald appartiennent à la race des killers, comprenez, des gagnants. Et à l’heure du capitalisme triomphant, gagner ne peut s’obtenir sans écraser les autres.
C’est là que The Apprentice joue sur un film très ténu, entre distance critique et désir inavoué de spectateurs de voir jusqu’où les personnages sont prêts à tricher pour satisfaire leur sombre désir. Cependant, le film parvient toujours à nous rappeler qu’il s’agit bien de Trump, personnage réel et dangereux, grâce à un savant dosage d’humour et de clins d’œil au futur.
D’autre part, le film se déploie grâce à une mise en scène réjouissante, toute trumpienne car en outrance totale. Le film singe le format vidéo des années 1990 et l’imagerie soap des années 19970-1980 avec une joie non feinte, comme en témoignent les musiques tonitruantes. On croirait presque à une caméra cachée des débuts de Trump, jusqu’à l’érection de la tour éponyme.
Or, cette mise en scène et l’humour ironique du film ne sauraient être synonymes de légèreté mais sous-tendent bien un véritable propos politique. La force contestataire de The Apprentice grandit au fil du film. Les plans révélant le profil reconnaissable aujourd’hui de Trump se multiplient dans la dernière partie, pour souligner les liens avec le président autoritaire qu’il est devenu. Surtout, Donald Trump devient Roy Cohn. Prêt à user les autres jusqu’à la moelle, puis à les abandonner et les trahir. Une fois qu’il aura tout obtenu de son épouse, il la viole.
Finalement, le montage alterné de Trump se faisant liposucer son ventre proéminent accolé à l’enterrement de Roy Cohn symbolise tout le portrait de Donald dans ce film, celui d’un homme qui a ponctué les autres comme le bistouri absorbe sa graisse. Celui d’un homme à la mégalomanie pathologique, qui ne peut briller qu’en écrasant les autres et en inventant ses propres règles.
L’American dream que vit Donald est bien un rêve car il retiendra la leçon de Roy Cohn : l’important est de nier le réel.