Thriller ennuyeux et érotisme puritain, Babygirl aurait pu être le film de tous les contrastes. Pourtant, il s’avère étonnement cohérent sur une ligne : ne jamais questionner en profondeur le capitalisme. Ce film ne se défèrera jamais de cette imaginaire de la domination. Il laisse entrevoir une distance timide possible avec ce discours, mais n’ose jamais franchement, nous laissant face à un film sage et maladroit.
Romy (Nicole Kidman), PDG dans la robotique, subit les parties de jambes en l’air moroses avec son mari (Antonio Banderas, pourtant). Quand arrive un nouveau stagiaire (Harris Dickinson), elle perd pied et se sent prête à assouvir ses pulsions de soumission…
Suivant les (mauvais) conseils d’un collègue, me voilà parmi une cinquantaine de coquins à découvrir Babygirl, film vendu comme un thriller érotique féministe. Premier souci dans ce programme : les personnages. A côté d’une galerie de personnages secondaires sans consistance, Romy représente l’archétype de la girlboss, stéréotype que les GAFAM nous vendent comme une version féministe de l’icône capitaliste qu’est l’homme d’affaires. Or féminin ne veut pas dire féministe, et la pure transposition de ce personnage d’un genre à l’autre ne fournit qu’un imaginaire étriqué qui veut nous faire croire qu’on progresse dans la lutte, mais qui en réalité soutient les structures de domination. Babygirl, sans interroger les implications de ce type de figure, poursuit sa route dans l’exploration de la domination, non plus dans la sphère de l’entreprise, mais dans celle de la sexualité.
Babygirl résume la sexualité à un rapport de forces, de surcroît schématique et fort gênant. On peine à croire que ce nonchalant stagiaire peu souriant soit un maître BDSM en puissance. Le problème est que lui aussi ne semble pas le croire. Les scènes de sexe sont teintées d’hésitation, d’attente, de regards ennuyés. On aura rarement vu une domination aussi molle. Et que les plus prudes d’entre vous soient rassurés, la domination consiste simplement en de la masturbation (le film de toutes les audaces vous-a-t-on dit !).
C’est là qu’apparaît un autre souci en termes de promotion de Babygirl : le vendre comme un film féministe. Il paraît alors difficile de critiquer le film sans critiquer les désirs mêmes de Romy. Qu’une femme accepte ses désirs, soit, mais que ses désirs soient corrompus par un imaginaire machiste de soumission, le film aurait au moins pu le questionner. Attention spoilers, comment ne pas rire à la fin quand Romy arrête sa liaison avec le stagiaire pour assumer d’être un role model capitaliste ? On s’étrangle devant la bêtise de ce film qui ne voit le féminisme que comme un vernis adoucissant du capitalisme.
Finalement, le souci majeur de Babygirl est son manque de profondeur. Il aurait pu receler une force d’ironie, de sarcasme, d’humour noir allant jusqu’à moquer les désirs sexistes malgré eux de son héroïne. Hormis une blague sur le physique botoxé de Nicole Kidman, qui aurait pu donner lieu à une interrogation sur la normalisation du corps des femmes, Babygirl n’interroge rien de cette fascination pour la domination, n’en tire aucune conclusion politique, ne le dépasse par aucune prise de risque esthétique.
En effet, visuellement, le film ose peu. Les constantes mises au point vues comme des gestes esthétiques arty agacent plus qu’ils n’intéressent, comme ces arrière-plans délicatement floutés pour cacher la moindre nudité. Le film multiplie les plans à la gloire du néo-libéralisme, comme ces levers de soleil sur la skyline. Il tombe même dans le grotesque lorsqu’il ose un imposant air de Mozart pour faire prendre un peu de grandeur à son histoire, malheureusement simpliste. Au sujet de la bande originale, la réalisatrice Halina Reijn trahit un manque d’assurance en surlignant chaque séquence avec des musiques trop illustratives.
En bref, Babygirl veut être un film audacieux, mais il se complaît dans des stéréotypes. Le sexe aurait pu être cette force de subversion qui dérègle tout un monde ; il est ici limité à la pseudo-libération d’un seul individu qui finit par accepter ses désirs pas si transgressifs pour ne pas risquer son job en haut de la pyramide sociale. Voilà qui est osé…
Pourtant, sauvons quand même quelque chose de ce film, Babygirl possédait un potentiel affiché d’emblée avec les plans sur les robots. S’il avait été plus franc et acéré, il aurait suggéré la tentation robotique de son personnage principal, en crise car elle ne connaît pas la nature de son désir et ne peux l’assouvir tout de go. Elle est elle-même victime d’une société qui assouvit le désir immédiatement en le substituant à la consommation. Quelques séquences suggèrent un dérèglement dans l’univers parfaitement réglé de Romy (le putois dans la piscine, les danses étranges de sa fille) mais le film ne pousse pas plus loin les curseurs de l’étrange. Tout ce petit monde reste trop sagement à sa place.