A première vue, voici un film à suspense ultra-efficace sur la médiatisation problématique d’un crime, diffusée en direct. Alors que le film semble s’interroger sur les risques éthiques du journalisme en temps réel, il évite scrupuleusement de se positionner sur le temps présent, illustrant là tout son propos. Intéressante et intrigante rhétorique.

Après la sombre édition des JO de 1936 à la gloire du nazisme, l’Allemagne (de l’Ouest) réorganise les Jeux Olympiques d’Eté en 1972, avec l’intention de redorer son image sur la scène internationale. La RDA assume un choix paradoxal de ne sécuriser que superficiellement le site olympique pour ne pas raviver les images traumatiques d’Allemands armés. Le 5 septembre, un groupe terroriste palestinien profite de ce dispositif pour prendre en otage une partie de la délégation sportive israélienne.

Réalisé par le Suisse Tim Felhbaum, 5 septembre se place dans le point de vue des journalistes d’ABC venus couvrir les Jeux en direct, désormais passés de commentateurs sportifs à reporters de guerre. En régie, Geoff assure le montage en direct, Marianne traduit les flashs infos allemands, et, cachés dans l’immeuble en face de la prise d’otage, leurs collègues filment et racontent l’événement seconde par seconde. Le présentateur, guidé par oreillette, est le seul relais entre les faits et les spectateurs du monde entier. Ces derniers, au nombre de 900 millions, suivront, pour la première fois de l’Histoire de la télévision, une prise d’otage en direct.

D’emblée, 5 septembre étale son efficacité. Celle du rythme d’abord, trépidant grâce au montage nerveux alignant les plans de cinq secondes maximum. Celle du scénario, déroulé avec précision, dans un savant mélange de tensions et de retournements de situation. Celle de la démonstration : filmer un crime participe au récit de ce crime. Il ne manque plus que Mark Ruffalo au tableau.

Un des dialogues chocs de ce film, repris dans toutes les bande-annonce, résume le débat morale que traversent les personnages : « si les terroristes tuent quelqu’un en direct, quelle histoire raconte-on ? La leur ou la nôtre ? » Depuis que cette question est posée, aucun cadrage, aucun acte de montage ni prise de parole ne peuvent être innocente. Retranscrire le réel, c’est choisir un plan, choisir des personnages, choisir un récit. Et quand la réalité n’est pas transparente, on risque de raconter des mensonges. Finalement, le film se déploie en détricotant la question du point de vue.

Le film suggère un questionnement sur le regard, certes plus attendu et superficiel. Pourquoi 900 millions de personnes se ruent sur leur poste de télévision pour suivre la prise d’otages ? La majorité des images montrent la fenêtre d’un immeuble, comme sur les chaînes d’information continue, la temps s’étire, on commente le non-événement. Au fond, n’espérons-nous pas voir un meurtre en direct ?

A côté de cette virtuosité narrative, 5 septembre se saisit des contraintes techniques matérielles pour sous-tendre son suspense. On traverse le village olympique pour récupérer des bobines ; on étire les câbles à leur maximum pour déplacer une lourde caméra ; on soude des appareils pour brancher le téléphone à la table de montage son ; on appelle A via l’appareil de B pour rejoindre C en cabine téléphonique ; et on court chercher la traductrice, poste de radio en main. Le film nous immerge dans un tournage made in 70s, avec un tendresse non feinte pour toute cette armada archaïque de vieux instruments.

Seulement, alors qu’il semble s’interroger sur les enjeux éthiques sur un récit, le film se montre étonnamment timide sur l’événement-même au cœur du film. Nous voilà en 2025 avec un film sur une prise d’otage de civils israéliens par un groupe armé palestinien (peut-on faire un lien plus direct avec l’actualité ?), et le film devient frileux.

5 septembre reprend un débat pas inédit sur l’ambiguïté des images journalistiques (cf Civil War l’année dernière, Night Call en 2014, ou même Network en 1976), sur un sujet déjà traité par le cinéma, en l’occurrence par Spielberg dans Munich en 2005. Des événements spectaculaires à la télévision ne manquent pas, le film aurait tout aussi bien pu nous montrer le 11 septembre 2001 du point de vue des journalistes télé. Pourtant, l’événement central est bien une prise d’otage de civils israéliens par des terroristes palestiniens. Comme un écho au traitement médiatique du conflit aujourd’hui, avec des victimes israéliennes individualisées et un peuple palestinien absent. Ou, comme un écho aux libérations d’otage transformées en spectacle. 5 septembre illustre paradoxalement sa propre leçon : se taire fait aussi partie d’un récit.

Copyright de l’image de l’article : © Paramount Pictures France – Tous droits réservés

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