Dès les premiers retours du festival de Venise, on murmure que The Brutalist est un film instantanément culte. Signé par un illustre inconnu pour nous Français, un certain Brady Corbet, il respecte à la lettre le cahier des charges du parfait chef d’œuvre. Un film peut-il séduire sans surprendre ?
Un architecte hongrois, László Toth émigre aux Etats-Unis. Un riche homme d’affaires le prend sous son aile et le somme de construire le projet de sa vie : un gigantesque centre culturel. László Toth se met à l’ouvrage, tout en espérant les retrouvailles avec sa femme et sa nièce.
The Brutalist n’a pas d’autres choix que d’être un chef d’œuvre puisqu’il aligne :
– un tournage complexe : seulement 33 jours, avec un budget risible pour ce genre de projet (10 millions de dollars, en comparaison, Le Comte de Monte-Cristo a coûté quatre fois plus), et filmé intégralement à la pellicule. Cf Apocalypse Now
– une grandiloquence assumée. Cf Paul Thomas Anderson
– une virtuosité technique et une réelle beauté plastique et sonore. Cf Kubrick
– des thèmes difficiles, propices à un grand récit : la Shoah, l’antisémitisme, le racisme, le handicap, le viol… Cf Il était une fois en Amérique
– Adrian Brody. Cf Le Pianiste
– une durée effrayante (plus de 3h30 avec un entracte). Cf Autant en emporte le vent
Le film semble irréprochable. Trop parfait, trop gigantesque… intouchable. Son ouverture est l’une des plus remarquable de l’année, avec cette caméra épaule suivant Adrian Brody jusqu’à la découverte, tremblotante, de la Statue de la Liberté filmée à l’envers. Les frissons parcourent la salle, le choc de cinéma tant attendu dévoile peu à peu son programme, porté par une stupéfiante musique, inaugurale durant tout le film.
The Brutalist a l’évidence des chefs d’œuvres. Le parfait bijou de Brady Corbet n’est-il pas trop exemplaire, trop sage, pour rester dans l’Histoire ? A force de trop bien faire comme ses modèles, The Brutalist en oublie de créer. Paradoxal pour un film sur un artiste. Chaque plan explose de maitrise, jusqu’au moindre tressautement de caméra ; les dialogues ciselés révèlent les sous-entendus racistes comme les zones d’ombre des relations entre les personnages… Tout cela n’est-il pas déjà vu ? Et un peu trop explicite ? Le chef d’œuvre ne possède-t-il pas cette craquelure, cette subtilité, cette imperfection qui le rend à la fois controversé et inventif ? Ce subtile mélange d’émotions, entre choc et ravissement total ?
A y voir de plus près, The Brutalist n’est pas si parfait. Ses propos sur l’Art semblent bien convenus, ses personnages, même László, frôlent la caricature, et, formellement, aucune séquence ne resterait en tête pour son inventivité. On se remémore surtout les décors sublimes, comme trop cinématographiques pour être réels, entre les vallées de marbre blanc, la froideur du bâtiment quasi cauchemardesque créé par l’architecte, qui contraste avec les vétustes demeures qu’il occupera avec son épouse.
Assommés par la beauté des plans, nous acquiesçons vite lorsqu’il est question de qualifier le film de chef d’œuvre, mais le temps long fera son travail. La seule chose que l’on puisse affirmer avec certitude est que The Brutalist, façonné pour l’expérience en salles, constitue la preuve d’amour au lieu cinéma la plus belle de l’année. On aimerait voir tous les mois des propositions aussi denses, aussi ambitieuses, aussi assurées. Les débats irrésolus sur son importance future dans l’Histoire du cinéma ne nous empêche pas d’affirmer que ce film se situe dans une autre temporalité, le temps immédiat, celui de la séance.
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