Six ans après l’exceptionnel Parasite, Bong Joon-ho reformule ses obsessions formelles, thématiques, comme politiques, dans une veine plus comique. En résulte, un film qui déborde et qui réjouit, porté par un double Robert Pattinson impressionnant.
Un sentiment confus d’excitation et d’angoisse s’empare de chaque cinéphile en apprenant le retour après une longue absence d’un réalisateur adoré. Excitation, évidemment, mais angoisse car cette désertion de plusieurs années pourrait suggérer un film bancal, un montage douloureux, voire une catastrophe industrielle (des images malheureuses de Megalopolis de Coppola reviennent en tête). C’est avec ce frisson que nous entrons dans la salle pour découvrir Mickey 17 de Bong Joon-ho.
En 2019, Parasite rafla tout : Palme d’or, Oscars, adhésion totale de la presse, des critiques, succès commercial… Ce vertige rend le passage au film suivant si complexe, car si attendu. Il ne sera pas question ici de comparer les deux films – laissons les festivals hiérarchiser les films – tout au plus pouvons-nous souligner les continuités dans l’œuvre de Bong Joon-ho, qui arrive à surprendre tout en restant solidement cohérent de film en film. En témoigne cette allusion au parfum dès le début du film, clin d’œil à la métaphore filé des odeurs comme éléments de distinction sociale dans Parasite.
Nous voilà dans Mickey 17, car 17e copie de Mickey, recyclable à chaque mort. Dans un futur peu sympathique, des humains fuient la Terre dans un gigantesque vaisseau à destination de la planète glacée Niflheim.Pour mener à bien la colonisation, le malheureux Mickey est désigné cobaye de toutes les expérimentations cosmiques. En même temps, détail pratique, dès qu’il meurt, on le réimprime dans un corps similaire, sans altération de mémoire. Lors d’une nouvelle expédition-suicide, il revient contre toute attente en vie sur le vaisseau… et découvre qu’il a déjà été cloné.
Inspirée par un roman de 2022 signé Edward Ashton, cette histoire pourrait susciter débats métaphysiques comme péripéties loufoques, Bong Joon-ho choisit plutôt cette seconde option. Les questions existentielles sur la dualité, la mort, ou le libre-arbitre sont posées d’emblée, mais évacuées en deuxième partie de récit, au profit d’une action trépidante. Ce rythme nerveux et tenu dans la lignée de Memories of Murder (2003), s’associe à un sens du spectacle , décuplé lors de l’expérience en salle.
Chez Bong Joon-ho, ce spectacle mise sur l’inattendu. On retrouve dans Mickey 17 son appétit pour l’hybridité formelle, cette balade entre les genres cinématographiques, avec le burlesque, le film de monstre, l’aventure, la science-fiction bien sûr, et la satire, toujours. A ce sujet, Mickey 17 poursuit le propos politique de Parasite sur la lutte des classes. Mickey devient l’emblème du Lumpenprolétariat (sous-prolétariat chez Marx), utilisé littéralement comme chair à canon recyclable à souhait. En haut de cette hiérarchie sociale, règne le dirigeant populiste Kenneth Marshall (toute ressemblance avec Trump et Musk n’est pas fortuite). Mark Ruffalo qui l’incarne joue à cœur joie la ressemblance avec Trump, jusqu’à la caricature simpliste… mais le président américain, jamais à court d’excès, n’est-il pas devenu lui-même un grotesque personnage de fiction ?
Formellement, bien que le film respecte le cahier des charges du divertissement hollywoodien, on s’amuse à retrouver l’obsession de Bong Joon-ho pour le plan fixe répété, symbole d’un dérèglement à venir. Dans Mickey 17, le désordre, comme dans la vie, vient du désir. Face à la froide organisation du vaisseau, sa routine totalitaire et ses castes inamovibles, le grain de sable du dérèglement se niche dans la sexualité, dans l’amour. Le désir affirme sa puissance face à une autorité castratrice, à laquelle se soumet, d’abord, notre brave Mickey.
Robert Pattinson, pas lassé par les soubresauts temporels de Tenet de Christopher Nolan, poursuit sa singulière carrière, aux antipodes de son rôle de joli minet dans Twilight. Depuis le début de sa collaboration avec David Cronenberg en 2012, Robert Pattinson entreprend une dé-sexy-ification, tâtonnant du côté de personnages monstrueux et psychopathes, comme le fait d’ailleurs Jake Gyllenhaal, pour s’extirper de son image de beau gosse sage. Dans ce film, il impressionne dans un double rôle-titre.
Mickey 17 et Mickey 18 ont le même corps, la même tête, mais jamais on ne les confond. Le premier, un peu burlesque, dont la voix geignarde trahit la vulnérabilité, se recroqueville, épaules voutées, visage apeuré et très expressif. Le second, tête-à-claque, se tient droit, assuré, avec sa voix grave et précise, et ses yeux mi-clos, un brin suspicieux et rageurs. Robert Pattinson habite l’un et l’autre avec une aisance remarquable, usant de postures et de mimiques les différenciant, avec un plaisir de jeu visible à l’écran.
Plus étonnant encore, Robert Pattinson semble s’éloigner d’une forme de masculinité triomphante dont il a pourtant été l’étendard auparavant. Mickey 17 se montre assez insistant sur le politiquement correct, notamment dans les séquences finales. Certes, on a connu Bong Joon-ho plus subtile. Ce film fanfaronne, crie à plein poumons, caracole à toute allure, montre ses effets, ses gros bras… bref, un solide divertissement de cinéma en fin de compte.
Image de l’article : © Warner Bros