Joker : critique d’un film controversé

Film-événement de cette fin d’année, Joker est le pari ambitieux et politique de Todd Phillips, porté par un Joaquin Phoenix inspiré. Captivant mais ambiguë, le film souffre de nombreuses polémiques quant à sa prise de position au sujet de la violence mais il parvient à les faire oublier par son intensité indéniable et son histoire fascinante.

Les origines du Joker ou les origines de la violence ?
Joker est le récit hypnotique du basculement vers la violence d’Arthur Fleck, futur ennemi de Batman, pour le moment aliéné mental qui vit chez sa mère. Souffrant de crises terrifiantes de fous rires, le personnage éponyme, rejeté par la société et humilié par les médias, trouve sa place dans l’usage incontrôlé de la brutalité.

Le projet est ambitieux. Remonter sur les traces d’un des personnages le plus emblématiques du cinéma, qui a déjà été joué avec plus au moins de brio par Jack Nicholson, Heath Ledger ou encore Jared Leto, semblait être un pari risqué. Mais il s’avère gagnant grâce à la détermination de Todd Phillips et l’immense talent de Joaquin Phoenix, qui n’est plus à prouver depuis Her, Les Frères Sisters ou Walk The Line.

Moins déstabilisant qu’à première vue, seul le début du Joker est réellement anxiogène, la suite se révèle être moins oppressante, jusqu’au final, somptueux. Joaquin Phoenix porte ce film d’une main de maitre et livre une interprétation personnelle et habitée du personnage emblématique. Il se distingue de ses prédécesseurs en appuyant sur la dimension psychotique du Joker. L’acteur a par ailleurs révélé en interview s’être inspiré de personnes atteinte du même syndrome que son personnage. Mais c’est sous son maquillage qu’il transcende le plus l’écran, notamment lors de son passage inoubliable à la télévision face à un Robert De Niro en grande forme.

Captivant, Joker bénéficie d’un scénario inventif, n’hésitant pas à brouiller la frontière entre hallucination et réalité. Laissant volontairement des fins ouvertes (à l’instar des origines paternelles floues d’Arthur Fleck), l’histoire se réinvente sans cesse et s’avère fascinante.

D’un humour très sombre et souvent ravageur grâce au charisme indéniable de Joaquin Phoenix, Joker oscille entre tragédie et comédie, comme le rappelle à de nombreuses reprises son personnage principal. Lors de scènes glaçantes d’exécution, une touche d’humour noir se glisse et l’on passe du dégoût au rire. Malgré son sujet, le film brille par ses plans hauts en couleur, glissés entre deux scènes plus sombres. La réalisation soignée et le travail recherché au niveau de la photographie servent un film aux images superbes.

Joaquin Phoenix en route vers l’Oscar ?
Livrant une performance stupéfiante, l’acteur, qui a perdu plus d’une vingtaine de kilos pour le rôle du Joker, part en grand favori de la compétition qui se tiendra en décembre prochain. Pourtant, bien que tout le monde l’annonce déjà gagnant, un détail pourrait lui coûter la statuette.

La cérémonie des Oscars tient une réputation politiquement correcte et pourrait donc hésiter à confier la plus prestigieuse récompense du cinéma américain à un acteur dont le personnage est si peu pourvu de moral. Il est d’autant plus difficile d’honorer une telle prestation dans un contexte sensible sur le port d’armes, d’autant plus si l’on se souvient qu’en 2012 un homme déguisé en Joker avait tué 12 personnes et blessé plus de 70 dans une salle de cinéma, ouvrant le feu lors d’une séance de The Dark Knight.

Ces événements tragiques ne devraient pas interférer dans le monde artistique. Si Joaquin Phoenix obtient l’Oscar (et ce prix ne serait que mérité), espérons que les raisons soient d’ordre artistique et non politique…

La place ambiguë de la violence
Classé « interdit au moins de 17 ans » aux Etats-Unis, Joker est dérangeant, non pas dans sa manière de dépeindre la violence (finalement moins présente que dans un Tarantino), mais plutôt dans sa volonté de la justifier. Le personnage d’Arthur Fleck trouve la reconnaissance de ces pairs en tuant. Les meurtres deviennent alors symboliques et presque exutoires et reflètent un climat sombre et finalement intemporel. Joker apparait alors éminemment politique.

L’aspect le plus inquiétant, voire gênant, de ce film réside dans son absence de moralité. Il ne cherche pas à glorifier ni sublimer la violence commise par son « héros », mais n’offre pas d’avertissements contre ses dérives. Elle semble même justifiée puisqu’Arthur Fleck n’a été que la victime d’un système injuste et méprisant, doublé d’une enfance difficile et d’un état mental instable.

En bref
Joker est un film étonnant et brillamment interprété. Les fans de DC Comics seront peut-être déçus des quelques allusions faciles à Bruce Wayne mais le propos du film est moins de retranscrire les origines du mythe du Joker en tant que personnage culte, que plutôt de narrer le basculement d’un homme seul vers la folie meurtrière.

Quelques mois après avoir vu Joker, j’ai (enfin) regardé Taxi Driver, il m’est vite apparue que l’excellent film de Todd Philips ressemblait sur beaucoup de point au chef d’oeuvre de Scorsese. J’ai essayé de recenser les similitudes les plus pertinentes dans un article plus récent juste ici, n’hésitez pas à le compléter !