Children of Men décrit avec un réalisme glaçant un monde où les hommes sont condamnés à être stériles. Alors que l’humanité devait s’éteindre avec eux, un espoir survient : une femme est enceinte, plus de 18 ans après les dernières naissances enregistrées. Elle cherche alors à fuir l’Angleterre, gangrenée par la violence et la misère, pour ainsi protéger son futur enfant d’une instrumentalisation politique par des rebelles anarchistes.
Attention : risque de spoils !
Une histoire réaliste
et actuelle, tirée d’un livre de P.D.James
Children Of Men d’Alfonso Cuarón
dévoile progressivement un scénario de bonne facture, qui souligne des
questions bien plus profondes que celles ordinairement posées dans un contexte
d’apocalypse. Traitant le sujet de la fin du monde dans son ensemble, il ne
tombe pas dans l’écueil manichéen de séparer la société en 2 avec les gentils
rebelles sauvant les migrants et les méchants policiers à la gâchette facile.
Ici, personne n’est tout à fait blanc, à l’exception près des quelques
sympathiques protagonistes principaux. Le reste se cache derrière des idéaux
moraux, avant de dévoiler leurs vrais visages, bien plus sombres, et surtout
bien plus crédibles.
Ce scénario est l’occasion d’imaginer un futur dominé par des problématiques déjà présentes aujourd’hui, notamment sur le sort des migrants. Le passage par la fiction rend cette tragédie beaucoup plus compréhensible et humaine que les comptes rendus glaciaux entendus à la radio. Là, les hommes sont ballotés dans des bus bondés, les langues se mélangent mais se ressemblent par leur désespoir commun, désespoir aussi peint sur les visages. Les scènes finales dans le camp de réfugiés sont particulièrement bouleversantes, tant leur réalisme glace. Rien ne semble réellement inventé.
Les personnages se
révèlent assez recherchés
Mais cette histoire, que l’on pourrait d’abord croire entièrement
pessimiste, est pourtant porteuse d’humour, étrangement bienvenu et totalement
cohérent avec la situation pourtant apocalyptique. L’un des plus proches amis
du héros (incarné par Clive Owen, aux faux airs de Tom Hanks soi-dit en
passant), est un hippie presque ermite passionné par la qualité de sa drogue et
par ses blagues grivoises. Les moments que la courageuse bande de héros passe
chez ce baba cool
sont de sympathiques parenthèses dans leur périple dangereux.
Un autre aspect assez original et presque comique de ce film porte sur l’originalité des personnages principaux. On suit l’aventure d’un héros malgré lui que campe avec conviction Clive Owen. Cet homme, Theo, apparait comme la figure droite et noble du sauveur, mais il se dégage de l’archétype du héros américain parce qu’il se laisse parfois submerger par les événements (on peut le comprendre…) et se révèle finalement assez maladroit. Il se blesse lamentablement au pied et est obligé de fuir en boitant pendant tout le reste du film, ou encore il essaie de s’échapper du repère des rebelles avec une voiture au moteur défaillant qu’il est forcé de pousser dans la boue pour qu’elle atteigne les 10 kilomètres par heure… Un bon nombre de scènes illustrent cette sorte de comique ironique, à l’humour assez sombre, et ne font que renforcer l’empathie que l’on éprouve pour lui.
Quant aux autres personnages, ils sont tout aussi décalés mais crédibles, outre le hippie fan de rock (on entend plusieurs fois Ruby Tuesday dans la bande originale, preuve du bon goût indéniable d’Alfonso Cuarón), on rencontre une ancienne sage-femme vaudou, une gitane au cœur d’or, un policier aux intentions troubles… A noter aussi la présence d’un solide casting : Michael Caine, Julianne Moore et Chiwetel Ejiofor mènent le reste de la troupe, tout aussi compétent.
Un monde sans enfants
Le sujet principal du film est traité comme un problème de société à part
entière. Children Of Men débute avec la mort du plus jeune humain du
monde, suivi par une sorte de téléréalité. Les Anglais, bouleversés par cette
nouvelle, assistent impuissamment au symbole du déclin de l’humanité. Dans ce
contexte peu réjouissant, le gouvernement fournit des comprimés pour se
suicider paisiblement.
Mais tous ne font pas l’usage de ces médicaments, certains
suivent des buts flous, à l’instar du frère de Theo, qui collectionne des
œuvres d’arts. C’est d’ailleurs après avoir déjeuner devant Guernica, rapatrié
dans son salon, que les deux frères discutent rapidement lors d’un échange qui
se révèle bien plus intéressant qu’il n’y parait. Theo demande à son frère
pourquoi ce dernier continue de sauver des œuvres d’arts qui auraient pu être
détruits dans le chaos ambiant alors que personne ne pourra les admirer dans 80
ans, celui-ci est incapable de lui répondre. La conversation s’arrête là et la
question de l’art n’est plus abordée.
Le spectateur est alors invité à réfléchir sur la futilité de la création
artistique face à l’homme. L’homme est mortel, contrairement à une œuvre d’art.
Si tous les hommes disparaissaient, donc plus personne ne pourrait contempler
une œuvre, cette œuvre est-elle alors toujours présente si elle n’est pas
vue ? Les œuvres se transmettent de générations en générations, voire de
siècles en siècles, il s’agit donc d’un processus profondément humain puisqu’il
en est l’investigateur. S’il n’y a plus d’humain, les œuvres disparaissent.
Mais l’art ne dépasse-t-il pas la mortalité des hommes ?
Je me suis peut-être un peu emportée sur cette question de la futilité probable de l’art, revenons-en à d’autres problématiques réellement abordées par le film, comme le rôle des enfants.
Il est paradoxal de constater l’importance des enfants au vue de leur absence. Le film s’applique à décrire ce manque qui touche l’ensemble des hommes, comme Theo en particulier, victime d’une tragédie personnelle. La dernière scène finale où la jeune mère du premier nouveau-né de cette ère traverse les décombres de l’immeuble, aidé de Theo, est d’une intensité rare. Les balles pleuvent autour d’eux, des hommes s’affaissent d’un coup, tués violemment, mais tous retiennent leur souffle devant cet espoir, incarné par le cri du bébé. Celui-ci, blotti dans les bras de sa mère, est le sujet de toutes les attentions. Les policiers sont bouche bée et s’écartent pour que le trio se fraye un rang parmi eux, comme l’ont fait quelques instants plus tôt les réfugiés de l’immeuble. L’un des moments les plus bouleversants est peut-être la main tendue d’une vieille femme vers l’enfant, filmée alors qu’elle se perd de son sang et sait qu’il s’agit de ses derniers instants.
En bref
Children Of Men, sorti en 2006, est un des chefs d’œuvre de la science-fiction du XXIème siècle, au même titre qu’Inception. La virtuosité d’Alfonso Cuarón et sa passion pour les plans-séquences servent une histoire réaliste et terriblement actuelle. Assez violent, ce film sensibilise au sort actuel des migrants, tout en imaginant une fiction bien construite. Ce film apparaît donc comme le chef de file d’un nouveau cinéma, engagé, moderne, artistique et surtout, pertinent.