A l’occasion de la sortie du film de Thomas Cailley, revenons sur un autre film ayant traité de la transformation d’homme en animal, de manière prodigieuse, et pour le moins surprenante. Véritable ovni, cet étrange film de Yórgos Lánthimos brille par son cynisme mordant et son scénario loufoque.
Imaginez un monde où le célibat serait proscrit de manière absolument totalitaire. Toute personne seule est envoyée au glaçant Hôtel, où elle a 45 jours pour trouver l’amour. Sinon, elle est réincarnée en l’animal de son choix. La préférence de David, homme seul légèrement dépressif, va au homard. Cependant, alors qu’il peine à trouver l’âme sœur, et suite à un concours de circonstances délirant, David fuit l’Hôtel pour rejoindre les Solitaires, qui bannissent toute forme de relation amoureuse.
Le début du film montre avec amusement toutes les manières ridicules des gérants de l’Hôtel pour démontrer que le célibat est une tare. Passer une journée avec une main attachée dans le dos tend à prouver que l’on ne peut pas vivre seul. Dans le monde de The Lobster, on n’est pas en couple avec n’importe qui car « qui se ressemble s’assemble ». Ainsi, des duos se forment sur le seul point commun qu’ils saignent du nez ou ont un cheveu sur la langue. Même lorsque David quitte l’Hôtel, il garde ce présupposé comme ligne de conduite et tombe amoureuse d’une femme aussi myope que lui, insinuant que les préjugés de la société perdurent même en choisissant d’en être à la marge.
The Lobster ne se contente pas de dépeindre la version la plus cynique de l’amour, il égratigne avec plaisir les enfants. L’Hôtel fournit des enfants aux couples pour tester leur amour et pour pallier à leur ennui. Un des personnages dit d’ailleurs avec le plus grand sérieux : « si vous avez des problèmes de couple, on vous confie un enfant ».
Une des idées fortes de The Lobster est de ne jamais questionner le monde représenté, ce qui pourrait rebuter certains spectateurs plus sceptiques. Aucune révolte ne remet en question les métamorphoses, tout comme les règles d’union. Yórgos Lánthimos pousse à leur paroxysme les injonctions de notre monde, véhiculés non sans violence par la publicité par exemple. En en exposant l’absurdité, il révèle de manière assez touchante la crainte de chacun de finir seul.
The Lobster apparaît alors comme une fable moderne, très stylisée, notamment par sa photographie soignée, sa musique lancinante, son rythme assez monotone, exacerbé par la voix off. Les personnages sont aseptisés au possible. Alors que le thème de la métamorphose pouvait se prêter à des séquences spectaculaires de transformation, le parti pris du film est plutôt de se servir de cette idée folle comme base de son histoire fortement symbolique. Amateurs d’effets spéciaux truculents et d’action trépidante, passez votre chemin, il n’y aura pas de grand spectacle, mais plutôt une comédie à froid, interrogeant notre conception de la solitude et du grand amour.
S’il ne fallait qu’un élément du film pour synthétiser cet humour glaçant, porté révélateur de l’absurdité constante du film, gardons cette réplique savoureuse : « C’est votre chien ? –Non, c’est mon frère. »
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