Le cinéma n’avait même pas vingt ans lorsque Buster Keaton créa ce court film muet, burlesque et stupéfiant. Doté d’un sens du timing irréprochable, d’un humour pince-sans-rire et d’un talent pour développer des situations rocambolesques, le grand maitre muet du burlesque signe un véritable trésor au charme intemporel.
Résumé
Un projectionniste sans le sous, apprenti détective, est amoureux d’une jeune fille de meilleure condition. Alors qu’il se rend chez elle, après avoir dépensé ses maigres économies pour lui acheter un cadeau, il se heurte à la cruauté d’un rival qui le fait passer pour un voleur. Ses tentatives de mener l’enquête pour prouver la culpabilité de son rival avortent. Abattu et désemparé, notre malheureux héros finit par s’endormir lors d’une séance de cinéma. Il rêve alors qu’il est Sherlock Jr, un fin limier qui déjoue une enquête similaire à la sienne…
Keaton VS le reste du monde
Sorti en 1924, soit deux ans avant le grand succès de Keaton Le Mécano de la Générale, Sherlock Jr est une illustration amère de la malhonnêteté. Si Chaplin se heurte plus généralement à la cruauté du destin, Keaton subit quant à lui la méchanceté des hommes. Dès les premières minutes de ce moyen-métrage de 44 minutes, des passants jouent de la naïveté et de la candeur du personnage joué par Keaton, pour lui extorquer de l’argent. Pourtant, jamais il ne réplique ou ne cherche à se battre, gardant toujours ce même visage impassible, mi triste mi désabusé.
Trucages à l’ancienne pour un humour intemporel
Malgré son aspect parfois tragique, ce film reste une comédie charmante et efficace. Débordant d’inventivité, Keaton a élaboré des gags dont la précision étonne encore aujourd’hui lorsque l’on sait le peu d’effets spéciaux disponibles à l’époque. Véritable artisan du rire, l’acteur-réalisateur a perfectionné chaque scène avec soin. Pour l’incroyable partie de billard, où suspense et humour s’allient à merveille, Keaton s’est entrainé pendant des mois, reproduisant des milliers de fois des gestes techniques d’une subtilité indéniable. Le cinéaste manquera de peu de se briser la nuque lors des scènes à la moto, où comme dans le film, celle-ci n’avait pas de frein non plus !
Cet amour du détail rend ce film remarquable. Les trucages « à l’ancienne » sont de véritables tours de passe-passe, dont la magie opère encore, 95 ans après sa sortie en salle. Le sens du timing de Keaton participe grandement à l’humour de Sherlock Jr (le saut par la fenêtre terminé en coup de pied est juste stupéfiant). La scène où il arrive à se déguiser en une fraction de secondes en sautant par une fenêtre rend bouche bée d’admiration, et demeure sans nul doute le plus bel exemple de l’imagination débordante de Keaton. Alors que les moyens techniques de l’époque auraient pu empêcher certains passages, le cinéaste rivalise d’inventivité, de perfectionnisme et de savoir-faire pour créer.
Un bel hommage à l’art cinématographique
Sommet de comédie burlesque, Sherlock Jr est aussi une déclaration d’amour au cinéma. Le projectionniste délaissé de tous rêve à-travers l’écran, s’immisce dans la peau de personnages spectaculaires et apprend même à embrasser (de manière assez cocasse cela dit) grâce au septième art. Le cinéma est alors vu comme un moyen d’évasion, une porte de sortie sur le monde, en fantasmant sa vie grâce aux films. A-travers cette merveilleuse mise en abîme, Keaton développe de nouvelles scènes comiques, comme la traversée de l’écran par son personnage.
En bref
Petits et grands trouveront leur compte dans ce film drôle et tendre, dont les gags visuels sont d’une efficacité intemporelle. Le rythme condensé mêle humour et aventures, mené tambour battant par la musique. Merveille du cinéma muet, pépite burlesque à l’humour et au charme indéniables, Sherlock Jr est une belle invitation à découvrir le cinéma de Keaton, qui aurait eu 125 ans cette année. Sa carrière, hélas, ne survivra pas à l’arrivée du parlant.
Pour ceux qui seraient tentés par Sherlock Jr, voici le film en entier, disponible gratuitement sur YouTube car tombé dans le domaine public.