Alors qu’Hossein Sabzian est jugé pour escroquerie après s’être fait passé pour un grand cinéaste auprès d’une famille bourgeoise, Abbas Kiarostami filme le fait divers en cours et reconstitue avec les personnes impliquées, devenus acteurs, leurs propres souvenirs. Huit ans avant sa Palme d’or pour le Goût de la cerise, le réalisateur iranien livre un long métrage d’une rare justesse sur les liens troubles entre réalité et fiction, qui pâtit néanmoins d’un rythme très lent, aux répétitions discutables.
Sorti en 1990, Close-Up intrigue d’emblée. Un journaliste se réjouit de pouvoir couvrir un fait divers étonnant et partage son enthousiaste à un chauffeur de taxi distrait. Deux policiers sont à l’arrière de la voiture, prêts à arrêter Hossein Sabzian une fois arrivés chez une famille bourgeoise iranienne. La séquence est plutôt longue, le journaliste monopolise la conversation, se montrant parfois répétitif. Curieusement, le spectateur n’est pas convié à l’arrestation de Sabzian mais attend dans une rue déserte avec le chauffeur qui passe le temps en donnant des coups de pied dans une canette. Kiarostami semble prévenir ici le spectateur de sa démarche plus introspective et contemplative, dénuée de jugements, de sensationnalisme, voire même d’action.
Peu après arrive le générique d’ouverture, qui mentionne que tous les acteurs amateurs jouent leur propre rôle. Se dessine alors le projet d’Abbas Kiarostami, qui se dévoile avec plus de franchise lors de la longue séquence clef du procès. Celui-ci est filmé par deux caméras, dirigé vers le juge et vers Hossein Sabzian en gros plan, le réalisateur précise alors à l’accusé qu’il peut s’adresser directement à la caméra pour toute précision de réponse qui dépasserait le cadre judiciaire. Le procès oscille donc entre un déroulé classique, entre interventions des témoins et des connaissances des deux parties, et des moments plus étonnants où Sabzian, parfois dans une réponse d’abord adressée au juge, se penche vers la caméra pour révéler ses intentions. Jamais Kiarostami ne semble prendre un parti clair, Sabzian est peut-être un escroc, motivé par des fins peu louables mais compréhensibles au vue de sa situation économique personnelle. Cependant, la caméra offre à Houssein la possibilité d’expliquer ses intentions à travers des tirades mystérieuses, empreintes d’une profonde foi en l’art cinématographique. Cinéaste passionné qui s’est laissé prendre au jeu, apprenti escroc qui tente d’échapper à la misère ou jeune homme rêveur sans cesse humilié qui prend goût à ce masque flatteur, Hossein Sabzian est sans doute tout à la fois.
Kiarostami pose la caméra dans le tribunal comme un contre-point au procès réel, un nouveau juge cette fois ci-partial. « Un véritable artiste est proche du peuple » estime Hossein en regard caméra, délivrant un parallèle audacieux avec la situation politique iranienne, sous le joug des théologiens islamiques depuis 1979. Pourtant, Close Up s’efforce de ne pas proposer une réponse claire quant au dessein de Hossein. Le cinéma doit ici se contenter de montrer tous les points de vue, en offrant aux oubliés une prise de parole potentiellement salvatrice. Le cinéma, médium entre l’Etat et le peuple ?
Une des particularités les plus marquantes de Close Up réside dans sa structure narrative. D’une part, le film s’attache à retranscrire la quasi-totalité du procès au moment où il a lieu, suite à la demande du réalisateur aux autorités iraniennes de l’avancer de quelques semaines pour qu’il tombe pendant son tournage. Alors que le spectateur pourrait s’attendre à un même traitement de la suite de l’histoire qui suivrait un ordre chronologique, Kiarostami propose un geste novateur et fait jouer à Hossein Sabzian, aux membres de la famille flouée, ainsi qu’au journaliste et autres personnes impliquées de près ou de loin dans cette affaire, leur propres rôles dans des scènes de flashback. Sabzian revit donc le moment de son arrestation tel qu’il a vraiment eu lieu, tout comme sa rencontre avec la mère de la famille dans le bus où il distille ses premiers mensonges. Toute l’ironie de Close Up se révèle alors, Hossein étant un imposteur, il était déjà un acteur lorsque ces moments ont vraiment eu lieu, c’est alors au spectateur de juger s’il rejoue ses scènes dans le but d’escroquer la famille ou s’il est pris dans son propre jeu, qui le fait miroiter une possibilité de renaître dans la société sous un visage plus glorieux.
Si Close Up peut parfois perdre le spectateur, moins attentif devant les plans très longs, silencieux et dénués d’actions marquantes, il propose une réflexion renouvelée et ouverte sur la place du cinéma dans une société. Le cinéma, semble suggérer Kiarostami, se doit moins d’imposer une nouvelle réalité que de chercher à présenter la nôtre, pleine de contradiction, de non-dits, voire d’incompréhension.